En ce mois d’avril 2022, j’ai enfin repris mon métier de guide en Écosse, après deux ans d’interruption. J’ai eu l’idée d’écrire cet article ce matin, car on m’a beaucoup demandé à quoi ressemble mon quotidien de guide francophone. Voilà un article qui résume mon parcours et mon travail à travers l’année. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poser en commentaires, et si vous voulez consulter les créneaux des visites disponibles, c’est par là. Si vous avez des requêtes particulières, vous pouvez toujours me contacter sur sarah@frenchkilt.com. 

Photo de couverture : Rose + Julien Ltd

Comment suis-je devenue guide en Écosse ?

Je crois que le métier de guide est parfait pour moi, et pourtant, avant 2017, je ne l’avais jamais envisagé. Venant du monde du journalisme, j’ai trouvé beaucoup de similitudes entre ces deux métiers : le guide doit faire des recherches poussées, collecter les informations, puis les mettre en forme pour qu’elles soient faciles à comprendre pour le public. Mieux : il faut rendre le message intéressant pour captiver son audience.

Ayant fait un peu de théâtre d’impro durant mes études, j’ai aussi retrouvé plusieurs aspects scéniques dans l’art de guider : on connaît beaucoup d’informations par cœur, mais finalement, on les assemble au jour le jour, en improvisant. Les questions et les besoins de l’audience nécessitent beaucoup d’impro, et c’est ça qui est chouette ! Guider, c’est une performance, on donne beaucoup d’énergie en quelques heures…

Enfin, mon expérience dans l’hôtellerie est également très utile lorsqu’il faut comprendre et anticiper rapidement les besoins d’un groupe. Il y a toute une dimension de « problem solving » à pouvoir gérer, et ce, bien sûr, dans le plus grand calme. Même si l’on est très bien préparés, même si l’on a passé tous les coups de fils nécessaires, il est possible d’arriver dans un hôtel rural en fin de journée et apprendre qu’il manquera des chambres. Et là, il faut savoir garder son calme (et croire en sa bonne étoile). Ca m’est arrivé quelques fois !

sarah guide edimbourg

Une profession facile… du point de vue administratif

Je ne connais pas toutes les conditions pour devenir guide en France, mais pour être guide en Ecosse, il suffit de créer son statut d’auto-entrepreneur et d’avoir l’assurance adéquate. Mais une fois ces étapes passées, le plus dur n’est pas encore fait. Il faut ensuite construire son contenu, ses itinéraires, et, encore plus dur… Il faut trouver son public.
Je ne suis pas encore au point sur les règles d’immigration pour les auto-entrepreneurs, je pense donc aux francophones qui ont déjà le droit de travailler au Royaume-Uni en donnant ces conseils.

Pour moi, cette étape-là était peut-être un peu plus facile car je ne partais pas de zéro : j’avais French Kilt, ce qui liait déjà un lien de confiance avec mon public.

Je tiens mes comptes toute seule et chaque année, je déclare mon revenu et mes charges au HMRC. Je suis ensuite taxée, en gros, à hauteur de 20%, au-delà de £12,000 (le premier palier n’étant pas imposé). Tout doit être déclaré, même les pourboires. Pour m’aider, j’ai créé un compte bancaire séparé (même si ce n’est pas obligatoire) qui est relié à un logiciel de comptabilité.

Je suis devenue guide en Ecosse grâce à French Kilt !

Cela ne vous étonnera pas : c’est après quelques emails de lecteurs de French Kilt que j’ai envisagé de créer des visites guidées. Et finalement, ma toute première visite a été faite avec une classe de collégiens, un souvenir encore si clair dans mon esprit. Ca a été la révélation !

Après avoir eu un système de réservation par formulaire tout simple, j’ai ajouté une plateforme permettant aux futurs voyageurs de réserver leur visite publique ou privée. C’était déjà le cas avant la pandémie, mais cette année à nouveau, il semblerait que l’option “visite privée” soit plus souvent plébiscitée, sans doute car c’est plus confortable d’évoluer en petits groupes. Les personnes souhaitant suivre un circuit sur un thème particulier ou qui ont des demandes spéciales peuvent bien sûr me contacter.

Le choix d’une formation professionnalisante : le Blue Badge

Photo : Rose + Julien Ltd

Très rapidement, j’ai eu envie de pousser plus loin mes compétences de guide, pour pouvoir prendre en charge des groupes sur plusieurs jours, à travers tout le pays (et sans doute parce que j’ai un syndrôme de l’imposteur envahissant, soyons honnêtes). J’ai donc envoyé ma candidature à la STGA, l’association des guides professionnels d’Écosse, qui organise une formation perlée de 2 ans. J’ai eu la joie d’être reçue au concours, et la joie de préparer examen après examen, jusqu’à la fin de la formation… en mars 2020. Bad timing… Il a fallu attendre deux ans avant d’enfin punaiser mon badge à ma veste !

Cette formation m’a permis de consolider mes connaissances sur l’Écosse, grâce à de nombreux cours, sur des thématiques très variées. Ça m’a forcée à travailler des thèmes qui m’intéressent moins – quoi ? Quelqu’un a dit “géologie” au fond de la salle ? -, me permettant de m’y sentir à l’aise. Il était également intéressant de travailler les positionnements, la voix, la gestion humaine d’un groupe de personnes. Enfin, quelle chance de bénéficier de l’expérience d’autres guides expérimentés… “Cent fois, remets sur le métier ton ouvrage”, conseillait Boileau. C’est exactement ce que nous avons fait, week-end après week-end, en s’exerçant à l’art délicat de guider, quelles que soient la météo et la température. Petit bonus pour moi : tout a été fait en anglais !

Cette formation de deux m’a coûté plus de £6,000 en frais de scolarité, sans compter les livres et les déplacements. Un coût que j’espère amortir dans les prochaines années, grâce au fait qu’avoir le badge et faire partie de la STGA m’ouvrira plusieurs portes et me permettra de profiter d’un réseau de guides bienveillants. Faire partie d’une association de professionnels me permet également de faire accepter un tarif décent aux agences qui me font travailler sur leurs excursions.

Comment ai-je créé mes visites guidées à Edimbourg ?

Mes deux circuits principaux sont simples et efficaces : le premier est une visite de la Vieille Ville d’Edimbourg que j’ai appelée Les Incontournables. La deuxième, un circuit sur les traces de Harry Potter et sa créatrice, J. K. Rowling.
Ces deux circuits ont été construits grâce à mon expérience personnelle de la ville, et à mes nombreuses lectures. Voilà autre chose qui me plaît dans ce métier : il y a toujours de nouvelles choses à apprendre. D’ailleurs je commence souvent mes visites en disant que je ne sais que peu de choses, et c’est très bien comme ça. J’aime d’ailleurs particulièrement quand on me pose une question dont je n’ai pas la réponse : c’est l’occasion pour moi d’approfondir mes connaissances, et d’apporter plus tard une réponse à la personne l’ayant posée.

Mes circuits ont été étudiés pour durer environ deux heures, mais j’ai également l’habitude de faire des visites guidées un peu plus longues : en quatre heures, par exemple, on peut également explorer la Ville Nouvelle et son histoire, en allant jusqu’à Dean Village.

La majeure partie de ces visites se remplissent via cette page, ou via email. Année après année, j’ai également commencé à travailler avec quelques autres guides qui ont ma confiance totale et qui prennent en charge certaines visites quand je ne suis pas disponible, car je pars fréquemment en excursion.

Je travaille également avec plusieurs agences dites réceptives, dont la mission est de produire les séjours vendus par les agences de voyage en France, par exemple. Lorsqu’ils ont besoin d’un ou d’une guide francophone pour un groupe, ils font appel à moi. Ce sont des missions qui peuvent durer entre deux heures… et plusieurs jours.

Quel est mon rôle lors d’une excursion de plusieurs jours en Écosse ?

J’ai commencé à accompagner des voyages organisés en 2019. J’avais hâte d’ajouter cette nouvelle corde à mon arc car, même si je ne voyage pas de la sorte à titre personnel, j’adorais l’idée de faire partie du quotidien de gens qui sont en vacances. Dès ma première excursion, avec une association belge, j’ai ressenti le plaisir d’être celle qui dévoile des pans merveilleux de mon pays d’adoption à des voyageurs qui le découvrent juste.

Si toutes les compétences du guide “puits de savoir” sont requises, il faut également être à l’aise avec la gestion d’un groupe au jour le jour. Les petits tracas, les régimes alimentaires, les temps de trajet, la prochaine pause pipi possible… Le guide n’est pas là seulement pour dérouler la vie et l’œuvre de Marie Stuart au micro de l’autocar, mais aussi pour faire le lien entre les partenaires sur place (hôtels, restaurants, châteaux), l’agence qui organise le voyage et les membres du groupe. Il doit rajouter le petit “je ne sais quoi” qui va transformer le voyage en joyeuse aventure !

C’est un sacré sacrifice que de quitter son petit chez-soi pendant une semaine ou plus, mais aussi tellement agréable que de nouer de nouveaux liens avec les voyageurs que l’on rencontre. Je suis restée en contact avec plusieurs personnes rencontrées lors de ces voyages et je me réjouis d’en rencontrer d’autres durant cette saison…

borders région au sud de l'Ecosse

un point de vue dans les Borders, au sud d’Edimbourg

Mes techniques pour me préparer à une journée de visites guidées

Habillement

Il faut réussir à composer une tenue confortable, assez chaude, adaptée à la météo, pratique, et… qui contient quelques clins d’oeil à l’Écosse. Par exemple, une veste en tweed, une jupe en tartan, une écharpe en laine écossaise… Ou parfois, seulement un petit pins ! Mais à tous les coups, je sais que ces petits détails peuvent intéresser mon audience.

Pour moi, la principale difficulté reste les chaussures : je suis toujours à la recherche de la chaussure confortable, imperméable et élégante qui me permettra de me balader jusqu’à parfois huit heures par jour…

Dans mon sac, il y a…

  • De l’eau et une barre de céréales
  • Quand il s’agit d’une journée dans un séjour : une pochette avec le détail de la journée et tous les papiers nécessaires, ainsi qu’une liste des personnes dont j’ai la charge
  • Quelques cartes d’Edimbourg à donner aux participants
  • Plusieurs masques au cas où
  • Des sparadraps pour les ampoules
  • Une mini trousse de toilette
  • Les potentiels goodies dont j’ai besoin pour la journée
  • Un parapluie 🙂

Mon échauffement

Mon grand challenge, c’est toujours de conserver ma voix, et de ne pas trop forcer dessus dans la journée. Je prends le temps de l’échauffer chaque matin, et de faire des exercices de respiration (ou de yoga quand j’ai le temps). Pour la diction, vous allez rire : je mets La Valse à Mille Temps de Jacques Brel et je la chante à haute voix, même quand je dois le faire dans la rue si je suis en retard… C’est la chanson parfaite pour bien articuler et faire monter la force de la voix peu à peu !

Est-ce qu’un guide en Écosse gagne bien sa vie ?

C’est une question difficile car mon métier de guide en Écosse est par essence instable et précaire, la pandémie nous l’a bien prouvé. Cela dit, oui, j’estime que ce métier devrait être bien payé, car il requiert de nombreuses compétences et la possibilité de s’adapter à tout, tout le temps.

Cette année est vraiment expérimentale pour moi, car personne ne sait quelle direction prendra le tourisme international en Écosse et on ne peut pas vraiment se servir des acquis d’avant pandémie. VisitScotland estime que le tourisme européen pèsera en 2022 pour 55% de ce qu’il était en 2019, ce qui n’est pas entièrement encourageant.
Mon objectif : me prouver que je peux me rémunérer £2,000 brut par mois. Ce sera confirmé plus tard, car en cette fin avril, cela ne fait qu’un mois que je suis revenue à mon métier de guide à temps plein, et c’est aussi le premier mois de l’année fiscale. On y croit !

Les frais d’un guide en Écosse

En proposant des visites guidées privées à partir de £130, je sais que certains peuvent se dire que je me paie extrêmement bien. Cependant, j’ai aussi des frais et des temps non rémunérés conséquents :

  • Le coût de la vie très haut à Edimbourg, où les loyers pour un petit appartement chambre / cuisine avoisine à présent les £800
  • Les assurances annuelles que je prends pour travailler en sécurité et tous les autres coûts annuels (adhésion à la STGA, participation à la préservation du cimetière Greyfriars, logiciel de comptabilité, compte bancaire…)
  • Le fait que je n’ai pas accès à l’assurance chômage ou au congé maladie. En cas de pépin, je ne peux compter que sur moi (et les assurances privées sont très chères)
  • Les impôts sur le revenu et les contributions sociales
  • Tout ce qui est nécessaire à mon boulot au quotidien : livres, accessoires, cartes de la ville, recherche, chaussures…
  • Le fait que… je ne me suis pas réveillée un beau matin capable de raconter le développement de la Nouvelle Ville d’Edimbourg ou l’émergence des révoltes jacobites 🙂 derrière, il y a un long travail de fond !
  • Le côté très aléatoire de mon travail : les séjours peuvent s’annuler, les plans peuvent changer. Il faut être en alerte constante, et pouvoir réagir vite !
  • Le service client : les nombreux appels et emails qui conduisent à ce moment béni de la visite guidée 🙂
  • Le marketing, la gestion de mon site

Pendant l’hiver, que fait un guide en Écosse ?

Ce que j’aime bien dans ce monde des guides, c’est que tout le monde ou presque a aussi une autre activité. Certains vont guider dans d’autres pays, d’autres sont moniteurs de ski… Et moi, vous le savez, quand je ne suis pas occupée à parler de l’Écosse à haute voix, j’utilise mon clavier.

Même si la mise à jour ou la création de guides de voyage ont été mises à l’arrêt durant la pandémie, je compte sur les mois “calmes” pour travailler à des projets rédactionnels, collectifs ou individuels. En 2018, j’ai collaboré à la rédaction du guide Evasion Ecosse aux éditions Hachette, puis nous avons fait une mise à jour de Un grand week-end à Edimbourg, avant de créer Simplissime Ecosse, sorti en octobre 2020. En 2021, j’ai travaillé, avec Aurélie Bellacicco, sur le premier livre de recettes écossaises en français, paru aux éditions La Martinière en janvier 2022.

Cette année, je sais que je ne vais pas m’ennuyer avec La Revue Écossaise et d’autres projets éditoriaux intéressants, dont je vous parlerai bientôt. Continuer à alimenter French Kilt serait également une très bonne idée !