dunure castle
Cher toi,
Tu as décidé de déménager en Ecosse. Tu as vu les photos, lu les articles, tu as voyagé une fois, puis deux, puis trois dans ce pays, et puis tu as senti. Tu as senti cette évidence, cette impression limpide qu’il fallait que tu vives ici. Quelques mois ou une vie entière, qu’importe. Mais tu as enfin compris que ton prochain challenge se trouvait là, à Glasgow ou à Edimbourg, dans les Highlands ou dans les îles écossaises.
Seulement voilà : changer de pays, ce n’est pas une mince affaire, même au sein de l’Europe, même vers une contrée que tu connais déjà bien. Les questions s’entassent. C’est stressant. L’information est difficile à trouver, le découragement, parfois, semble te prendre. Mais heureusement, tu n’es pas parmi les premiers à vouloir franchir la Manche pour t’installer dans la douce Ecosse. D’autres francophones l’ont fait avant toi, ont souffert avant toi, et auront des conseils pour toi. Alors hop, tu t’actives sur le clavier. Tu tombes sur French Kilt. Tu te dis que j’ai l’air d’être une nana sympa, et tu m’envoies un premier email. Je te comprends, je sais bien pourquoi tu m’écris un petit courrier, que je lis avec bienveillance et tendresse. C’est rassurant. Je te donne l’impression d’être à portée de main. Souvent, je te vois aussi envoyer des petites missives sur les forums et autres réseaux sociaux ou tes mots, peut-être, attireront la curiosité des francophones déjà installés. Avec un peu de chance, l’un d’eux aura peut-être un bon plan pour toi. Une chambre dans un appartement, un ami qui embauche. Tu feras attention, cela dit : certain y disent des idioties. Mais tu es malin, tu sauras faire le tri.
Parfois, tu me demandes comment faire pour trouver un logement, comment choisir un docteur. Des questions vitales. Que j’essaye de traiter dans des articles, comme ici avec notre vieille check-list de l’expatrié qui devrait bientôt être mise à jour, ou avec cet article sur l’accès au logement. J’en ai un pas mal qui arrive, qui est presque à point, sur le marché de l’emploi, qui, je l’espère, te sera utile. Petite confession : depuis le début, je m’imagine passer un hiver à écrire un ebook pratico-pratique sur l’expatriation, rien que pour toi. L’hiver arrive, mais pas le temps libre. Alors, je repousse, je me dis que j’attends « l’après-Brexit ».
Parfois, tu me demandes beaucoup de choses. Peut-être même un peu trop. Parfois, ta missive arrive au milieu d’un paquet d’autres missives, et du coup, j’ai du mal à trouver le temps de faire des réponses complètes. J’espère que tu ne m’en veux pas trop. Une petite partie de moi, aussi, se dit que tu seras d’autant plus fier si tu trouvais la réponse par toi-même, aussi. Je ne peux pas tout décortiquer pour toi. Je fais de mon mieux. J’essaye, toujours, d’être encourageante et positive.
Je pense là à Mayeul, qui fut un lecteur du site, et qui m’adressa un jour un email pour parler de son envie de déménager en Ecosse. Après un premier voyage, il a sauté le pas. Une grande victoire pour lui. Et écrire ce premier email, peut-être, lui a permis de concrétiser son projet. Je l’ai croisé dans la rue, un soir, le Mayeul. Il était au téléphone, et moi, je devais me faufiler dans un supermarché avant la fermeture à minuit. On était tous les deux pressés, on s’est fait salut de loin. Et quand j’ai pensé au chemin parcouru par Mayeul, j’ai souri. Une envie, un email, beaucoup de travail, beaucoup d’idées, et puis voilà, on se croise un soir à minuit sur Leith Walk. C’est pas beau ?
L’autre grande question, c’est le Brexit. Comme toi, je suis aux abois : il me tarde de savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Parce que je fais partie des expatriés sac à dos, ceux qui ont juste pris leur cliques et leurs claques et qui se sont barrés, ce qui est un peu différent de ceux qui arrivent ici dans le cadre d’un projet professionnel. Après deux ans de « limbo », comme on dit ici, perdue entre deux eaux, à constamment attendre le choc, personne ne sait vraiment sur quel pied danser. Seulement très récemment, alors que je tentais d’identifier les sources de stress dans mon quotidien, j’ai réalisé que ce satané Brexit, à force de rôder autour de nous, finissait par peser sur notre moral. Si j’ai toujours décidé de ne pas prendre la menace « Brexit » vraiment au sérieux, je me rend compte que son ombre portée diffuse pas mal d’anxiété. Je me rends compte que répondre à la question « alors, toi ça va aller ? Tu vas pouvoir rester ? » plusieurs fois par semaine, même si on la prend à la rigolade, finit par pincer mes nerfs. La sensation, même ténue, d’avoir été rejetée par la nation britannique qui a voté pour stopper la libre circulation des personnes et des biens, n’est finalement pas si indolore que ça. Ca picote. Ca rend triste. Ca ne nous encourage pas à nous intégrer vraiment, à nous engager pleinement. Je comprends alors l’insistance de tes questions par rapport à tout ça. Faut-il venir juste avant ? Est-ce risqué ? La situation va-t-elle empirer ? Allons-nous être fichés ? Allons-nous perdre des droits ? Si tu es de l’autre côté de la Manche et que tu hésites à déménager à cause de cela, je te comprends. Ton rêve n’est pas nécessairement anéanti : il faut juste y intégrer cette variable. Cette incertitude politique. Il faut contrebalancer le doute, le risque, avec de la confiance et de l’espoir. Et si cette évidence, tu la sens encore, Brexit ou pas, deal ou pas, alors tu as ta réponse. Viens.