C’était un soir d’août – pas l’un de ces soirs à écouter les cigales ou à guetter les étoiles filantes – non, c’était un soir d’août où l’on glisse un parapluie dans son sac et où l’on prend un foulard au cas où. C’était un soir d’août à Edimbourg, où l’on fait mine d’être trop occupés par les festivals, le travail, les réseaux, pour prêter attention au ciel. C’était un soir d’août où soudain, je réalise que je boucle là ma première année en Ecosse. Ni vu, ni connu.

Un dîner à Dram & Smoke à Edimbourg

C’est presque naturel : vendredi soir, en ignorant qu’il faudra être d’attaque au boulot samedi et dimanche, il fait bon se préparer pour faire un tour en ville, voir des amis, « finir » officiellement la semaine. Ce soir là, je dine avec Marie et Sophie à Dram & Smoke, un pop-up restaurant installé à la Biscuit Factory, une ancienne usine transformée en lieu hétéroclite (une salle de spectacle, une distillerie d’Edinburgh Gin, plein d’espace… ) au coeur de Leith, mon quartier. C’est intéressant de dîner dans un tel espace, pas franchement fait pour accueillir 90 personnes affamées. Et pourtant. Les grandes tables rondes familiales jouxtent la cuisine ouverte, et à l’autre bout, on distingue un bar, des fauteuils, une petite scène et une table de ping-pong. Et pourquoi pas ? L’espace industriel contient à la perfection les meubles fait en palettes, les puits de lumière font du bien et peu à peu, les petites bougies remplacent la clarté des nuages.

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Je fais connaissance de mes voisins de table : deux amis d’enfance qui ont grandi dans l’archipel d’Orkney, tout au nord de l’Ecosse. Et puis qui ont quitté leurs îles. « Un peu comme dans Moon Dogs« , leur fais-je remarquer en douceur. Bon. L’entrée est déposée au milieu de la table : goûtons donc ce pâté de jambon et de haggis, décoré de plusieurs petits légumes. Ce petit clin d’oeil sera suivi d’un délicieux risotto d’orge aux champignons et aux coquillages. Le plat principal nous effraie presque : une énorme pièce de boeuf siège au centre de la table, et elle est accompagnée de petits légumes de saison. C’est l’un des convives qui se charge de découper la pièce de viande, un peu comme si on était chez mamie un dimanche. Enfin, on finit en beauté avec une crème aux oeufs et à la rhubarbe. Le point commun de tous ces plats ? Tous les aliments sont produits en Ecosse. Ca donne de l’appétit.

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En sirotant un whisky Highland Park avant de sonner le glas de la soirée, je réalise à quel point je me suis enracinée dans un nouveau quotidien. Je navigue de l’anglais au français sans m’en rendre compte. Je roule les R quand je dis tomorrow. Parfois aussi quand je prononce mon propre nom. Je dis « not too bad » quand on me demande comment se passe la semaine et « nice one » quand je ne sais pas quoi répondre. Je ne dis pas encore « aye » à la place de « yes », mais qui sait, ça viendra peut-être. Je hoche la tête quand on me parle de Summerhall, des Meadows, de Portobello, de The Shore et de Restalrig. J’ai fait mienne la gentillesse des Ecossais, je me sens bien dans leur optimisme et leur confiance.

Un an en un claquement de doigts

Il y a un an, déjà un an, douze mois, je zippais avec désinvolture mon sac de voyage acheté en soldes pour l’occasion. Il me faut beaucoup de philosophie pour endosser ma veste alors qu’en France, il fait chaud, très chaud. C’est juste un autre décollage. C’est mon village, mon aéroport, mon environnement, et je le laisse encore une fois. La première nuit dans un appartement vide, sans électricité ni eau, ne me conforte pas dans mes choix. J’ai un instant de doute : et si j’avais tout foutu en l’air pour du vent ? A l’époque, je pense rester une petite année, peut-être moins. Je ne savais pas encore que cette année allait s’écouler plus vite qu’une cornemuse ne se dégonfle.

Que s’est-il passé, en un an ?

French Kilt est né. On soufflera bientôt la première bougie du blog, le 1er octobre, et promis, on fera des efforts pour fêter ça avec un peu de classe. Promis

J’ai appris que l’eau chaude et l’eau froide étaient inversées sur les robinets, que les prises avaient des interrupteurs et qu’il fallait avoir l’appoint pour grimper dans le bus. J’ai appris à découdre la musique de l’accent écossais et j’ai même adopté plusieurs expressions.

J’ai d’abord profité d’un magnifique automne écossais qui m’a permis de découvrir Stirling, Aberlady, les Borders, North Berwick… J’ai ensuite goûté à l’hiver écossais que je n’aurais pas détesté s’il n’avait pas été ponctué par une vilaine pneumonie. Mais ici, on s’accroche, on n’abandonne pas.

Un dimanche soir, on a vu la neige tomber alors qu’on était en train de siroter un thé à Lovecrumbs. On est allés sur la plage de Portobello, j’ai vu ma première plage enneigée. C’était beau. Un peu plus tard sur cette même plage on a aussi cru voir une aurore boréale.

J’ai vu le blog prendre un peu de gras, un peu d’assurance, aussi. J’ai vu vos mails et vos questions affluer. J’ai aimé gribouiller le coin de mes pages pendant que Camille, Tao et moi discutions de ce que nous imaginions écrire dans les semaines à venir. J’ai apprécié les échanges avec des lecteurs dont on ne connaît pas le visage, mais seulement le pouce, quand nous partageons un nouvel article.

J’ai vu les magnifiques feux d’Hogmanay, les couleurs du marché de Noël d’Edimbourg, la nuit tomber très tôt, bien trop tôt pour ma peau habituée à plus de soleil que ça. J’ai eu la joie d’accueillir ma famille et mes amis, et celle de voir à quelle vitesse ils tombaient sous le charme d’Edimbourg.

J’ai déménagé, et j’ai continué mon exploration quotidienne de l’est de la ville. Je me suis installée à Leith, un quartier barbouillé de couleurs et ponctué de cris de mouettes. J’ai passé une soirée très nerveuse devant la télévision, un 23 juin, avant d’apprendre que le Royaume-Uni décidait de quitter ma précieuse Europe. J’ai distribué des hugs par milliers, cette semaine-là. Je me suis demandée ce que je voulais faire de ma vie, aussi.

Explorer

Pour me donner du courage au début d’une saison touristique qui s’annonçait intense, j’ai décidé de partir explorer les Hébrides extérieures en Ecosse et bientôt, je vous en dirai plus. En quelques mois aux commandes d’une adorable auberge de jeunesse, j’ai appris à adapter mon anglais à l’origine de mes hôtes, à mimer tout ce qu’il est nécessaire d’expliquer, j’ai souvent ouvert les bras, séché des larmes, ri à de jolies blagues et écouté plein de belles histoires. En toute modestie, je pense connaître toutes les playlists « acoustic covers » que propose Spotify.

Chaque jour de congé a été dédié à l’exploration d’un nouveau quartier, d’un nouveau village. J’ai pointé des villes aux hasard sur la carte et je me suis empressée d’aller les voir en vrai.

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J’ai aussi décidé de rester. Juste un peu plus. Parce qu’au bout d’un an, un début de réseau s’est tissé. Je peux dire que j’ai rencontré des personnes fabuleuses, et je n’ai pas fini de les explorer, ni elles, ni leur pays. Je ne connais pas encore tous les cafés, tous les clochers, toutes les pharmacies. C’est à peine si je connais le code postal de mon nouveau quartier. J’ai déjà tellement creusé, il serait triste de reboucher mon petit tunnel après seulement un an.

La suite dépend de ce que je trouverai au bout de ce tunnel. Vous avez une idée ?

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